mercredi 26 août 2009

Lundi dernier, j'ai fermé un bar. Ça ne m'étais jamais arrivée. Rester collée suffisamment longtemps pour s'imprégner d'un endroit, apprendre à connaître son tenancier, voir les clients défiler, surprendre des conversations...

L'endroit était visuellement tel que je l'avais laissé il y a plus de 15 ans. De magnifiques artefacts sont disposés un peu partout. Des médailles de chevaux ornent le mur au-dessus du comptoir. Un vieux téléphone à roulette qui n'est plus chiffré depuis belle lurette est partiellement dissimulé derrière une splendide caisse enregistreuse parfaitement fonctionnelle et datant de l'ère pré-électronique.

Aussi: de l'art déco plein les murs, une photo d'Isadora Duncan dans la semi-pénombre de la vitrine encastrée au-dessus de l'imposante banquette du fond qui fait au moins 180 degrés.
Les murs bourgognes à motifs, Marlene Dietrich dans l'entrée, le joli judas de bois de la lourde porte d'entrée. Les grilles en fer forgé dans les fenêtres par lesquels on aperçoit les clients fumeurs qui doivent rester viligants étant donné la rue très à pic.

Puis le bois omniprésent. Le plafond, le frigo à spiritueux boisé autant de l'intérieur que de l'extérieur. L'émouvant comptoir qui, malgré son usure apparente, persiste à briller. Sûrement les millions de mains l'ayant distraitement caressé avant les miennes...

Mon tabouret, le sien.

Le vieil escalier recouvert de tapis par lequel on disparaît au deuxième pour un bref moment.

La soirée avance. Michel, le tenancier s'ouvre, tente de nous ouvrir aussi. Il est de Péribonca, il est franc, direct, sans flafla, remet à sa place si nécessaire. Il questionne, mais n'insiste pas. Même les disques qu'il décide de mettre lorsque les clients superflus ont quitté les lieux sont des artefacts. De gros vinyles épais, avec les inscriptions gravées, comme les vieux Decca. Une surprise dans le lot, Earth, Sun and Moon de Love and Rockets, que Michel a gracieusement consenti à faire jouer, naturellement.

Un vieux routier surgit, il est 12h45, je crois. Il est clairement d'une autre époque, probablement le genre à avoir nourri Michel de ses vieilles anecdotes concernant l'endroit. C'est un peu comme si on y perpétuait une forme de tradition orale, ce qui est absolument sublime. J'ai d'ailleurs appris qu'à l'origine le bar était un cover de la GRC servant à démasquer des felquistes, rien que ça.

Love and Rockets m'habite, me permettant de m'élever un peu plus haut que ce que mon ivresse légère m'autorise déjà.

Je suis bien. Mes sens sont maintenant imperméables à toute forme de douleur. Je ne ressens plus que du contentement, du plaisir et une infinie plénitude. Je ne voudrais être nulle part ailleurs que dans l'espace précis que j'occupe, complètement prise par mon moment présent. Je pourrais mourir précisément à cet instant avec un grand sentiment d'accomplissement.

Plus la soirée avance, plus elle est magique. Elle va d'ailleurs l'être toute la nuit et toute ma vie. Elle devait certainement briller dans nos yeux. Je veux me la rejouer dans ma tête, sans cesse, jusqu'à ce que j'en mémorise tous les détails, pour ne jamais en perdre la saveur.

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